Un vaste éboulis recouvert de broussailles, d’où émergent quelques pans de mur, voilà tout ce qu’on voit aujourd’hui du château d’Oppède. L’état actuel des ruines rend d’autant plus malaisée leur analyse que l’épaisseur des décombres masque une grande partie des structures encore existantes. La grandeur du site, de beaux restes de constructions attirent l’oeil, mais l’ensemble ne peut être compris sans le secours de la fouille et de la documentation.
L’histoire des seigneurs d’Oppède ne nous apprend pas grand-chose sur le château, dont l’existence débuta certainement avant la prise de possession par le comte de Toulouse, au début du XIIIème siècle, et s’acheva bien avant la Révolution puisque l’édifice, endommagé par un tremblement de terre en 1731, était inhabité depuis déjà près d’un siècle. Faute d’une recherche plus poussée, la documentation se limite à cinq actes :
Ces cinq documents, bien entendu, ne rendent pas compte de la totalité de l’édifice. Ils fournissent seulement quelques jalons dans la connaissance d’un ensemble aussi complexe dans sa composition que dans son histoire. La description et la chronologie qui vont suivre feront donc la part encore large à l’incertitude et à l’hypothèse, en attendant la fouille et la documentation qui permettront peut-être un jour de les réduire.
Pour autant qu’on puisse l’apercevoir, le château n’a pas de parti d’ensemble et sa composition n’est rien moins que régulière (fig. 7). Le site, sans doute, ne s’y prêtait guère, non plus que la lente genèse de l’édifice, commencée au début du Moyen Age et achevée probablement dans la première moitié du XVIIème siècle. Le château occupe le sommet du piton rocheux. Borné au sud et à l’ouest par des à-pic infranchissables, le développement architectural a dû s’accommoder sur les autres côtés d’un terrain rocailleux, en forte pente vers le nord jusqu’à la limite supérieure du village. Deux accès seulement, l’un par le village, l’autre par un étroit sentier qui escalade le versant méridional, tous deux interceptés par une première enceinte, qui clôture la plate-forme où est bâtie l’église, à l’est du château. On voit encore le soubassement arasé de la section nord de cette enceinte, édifiée ou, plus probablement, réédifiée entre 1425 et 1460, avec la porte placée au débouché de la rue de l’Église et un pan de mur, flanqué d’une tourelle circulaire, en surplomb au-dessus de l’ancien cimetière. Au sud, deux massifs de maçonnerie, adossés au rocher, constituent les seuls vestiges de la poterne, que l’acte de 1460 décrit comme précédée d’un pont-levis. S’agissait-il véritablement d’un pont? L’importance de la déclivité peut en faire douter, à moins de supposer, à l’autre extrémité, une rive artificielle (tour ou terrasse maçonnée) desservie par un escalier.
Première enceinte. — Vers l’ouest, la première enceinte prend appui sur une seconde, plus importante, formée de deux longs pans en retour d’équerre, qui délimitent la basse-cour. Le pan septentrional existe encore sur toute sa longueur, au-dessus de la rue de l’Église. La courtine présente un parement en moellons assisés sur toute la hauteur qui sert de soutènement au terrain de la basse-cour. Au-dessus, le mur, assez mince, est en blocage et les petites archères en fente, d’un modèle proche de celles de l’enceinte du village, tournent vers l’extérieur, c’est-à-dire vers le village, leurs embrasures en pierre de taille. Cette anomalie résulte probablement d’une reconstruction tardive (XVIème ou XVIIème siècle) de la partie supérieure.
Moins bien conservé, le pan oriental, au milieu duquel s’ouvre la porte de la basse-cour, a subi plusieurs remaniements. Une grande barbacane le précède, enclos rectangulaire formé d’un épais mur en maçonnerie de blocage, percé de meurtrières de fusillade et sommé d’un chemin de ronde, et d’une tour carrée à étage, qui sert de corps de passage. Une grande porte en plein cintre, surmontée d’une bretèche, l’ouvre au sud vers l’extérieur. Une rampe en terre ou en bois devait jadis monter vers le seuil, qui surplombe de plus d’un mètre le sol extérieur. Vers l’ouest, une grande baie en plein cintre fait face à la porte de la basse-cour (16). Dans cette barbacane, on reconnaît aisément l’ouvrage commandé par Vincent-Anne de Maynier en 1611 dans le dernier de nos textes.
Deuxième enceinte. — A l’intérieur de la barbacane, le mur d’enceinte de la basse-cour est assis sur un soubassement taillé dans le rocher, qui atteint plusieurs mètres de hauteur à l’extrémité sud. La courtine à parement assisé a perdu son couronnement, mais possède encore deux hautes archères au sud de la porte. Cette dernière, dont l’arc en segment chanfreiné repose sur des piédroits encastrés dans la roche, débouche dans un couloir d’environ 5 mètres de long, aux parois également taillées dans le roc et couvert d’un berceau segmentaire en blocage. De tels caractères dénoncent une réfection, probablement effectuée au XVIème siècle. L’ouvrage primitif avait vraisemblablement une hauteur plus grande, avec une terrasse de couvrement et une bretèche (17) accessibles par le chemin de ronde. L’actuelle porte était, selon toute apparence, surmontée d’un étage qui communiquait, au nord, avec un corps de bâtiment carré, cantonné d’une petite tour ronde (détruite) et logé dans l’angle que forment la courtine — ici refaite en pierre de taille et de moindre épaisseur — et un long mur en blocage établi au travers de la basse-cour. Des différences d’appareillage et des collages indiquent que ces divers éléments ont été mis en place à des dates différentes, toutes postérieures à 1460 : le mur transversal d’abord, puis le pan de courtine, ensuite la tour ronde et le corps de bâtiment.
Basse-cour. — La grande basse-cour, circonscrite par le mur d’enceinte au nord et à l’est, le château au sud et le ravin à l’ouest, était divisée en terrasses par des murs transversaux partiellement conservés. L’un d’eux prend appui, comme nous venons de le voir, sur la courtine orientale au nord de la porte et fait retour, à l’autre extrémité de la cour, vers la courtine septentrionale. Un autre mur perpendiculaire à la pente part de la tour carrée assise sur le rebord occidental et converge lentement vers le premier, en délimitant une grande rampe de liaison entre les parties supérieure (sud) et inférieure (nord) de la bassecour. Une porte cintrée fermait jadis le haut de la rampe, au point de rencontre des deux murs. On aperçoit cette baie, aujourd’hui détruite, sur un dessin daté 1858 (18). Outre les murs transversaux, qui servaient à la fois de soutènement et de clôture, la basse-cour renfermait des communs, dont la place exacte reste inconnue. Le procès-verbal de 1460 évoque des écuries (250 m2 de superficie), un poulailler (20 m2) et une troisième enceinte (barriotus), dans laquelle il faut peut-être voir le mur en bel appareil qui ferme l’angle compris entre le pan oriental de l’enceinte et le château. Dépourvu de porte, ce mur très épais avait une double fonction de soutènement et de défense (trace d’archère à double ébrasement). L’espace qu’il délimitait n’était, apparemment, accessible qu’à partir du château et les meurtrières qui le garnissaient (détruites avec les parties hautes du mur) commandaient l’entrée de la basse-cour, qu’il fallait traverser d’est en ouest pour accéder au château proprement dit.
Entrée. — A l’autre extrémité, sur le bord du ravin occidental, s’élèvent en effet les corps de bâtiment qui servaient d’entrée au château (fig. 8). Au nord, une tour carrée de deux étages, couverte d’une croisée d’ogives et d’une terrasse, renfermait un escalier en vis circulaire (diamètre 3m80) aujourd’hui effondré. Appuyé contre la tour, au sud, un petit corps de bâtiment rectangulaire contient deux étroites pièces superposées, voûtées en berceau brisé et percées à l’est de meurtrières de fusillade, et supporte une terrasse, sur laquelle débouchent l’escalier en vis et un petit escalier droit qui monte vers la terrasse du sommet de la tour. Un vide ouvert à l’ouest sur le ravin et enjambé par un arc en pierre de taille sépare ce premier corps de bâtiment d’un autre plus large, assis sur l’escarpement rocheux du château et composé de deux parties. La première, allongée d’est en ouest, contient une grande pièce trapézoïdale couverte d’un berceau brisé et touche à l’est et au sud deux corps de logis du château ; la seconde, en retour vers le nord, comporte un rez-de-chaussée voûté en berceau brisé et un étage qui communiquait, par l’intermédiaire d’une porte partiellement conservée et d’un pont détruit, avec la terrasse du corps de bâtiment précédent. Dans ce dispositif, une seule porte ouvrait sur la basse-cour, celle de l’escalier, placée sous le contrôle des embrasures de tir des deux corps de bâtiment et de la bretèche aménagée au sommet de la tour. Pour entrer au château, le visiteur devait entrer dans la tour, monter l’escalier, traverser la terrasse, le pont et l’étage du second corps de bâtiment avant de parvenir jusqu’à la porte de la cour supérieure. Seul un petit escalier en vis dans oeuvre, en partie conservé, donnait accès au rez-de-chaussée du second corps de bâtiment.
L’ensemble du système d’accès, parfaitement cohérent (19), peut être daté avec précision grâce à l’un des actes retrouvés. Le prix-fait du 20 mai 1546 concerne en effet les deux corps de bâtiment qui établissent le lien entre la “visette neuve” — c’est-à-dire la tour d’escalier, vraisemblablement bâtie peu de temps auparavant — et la porte de la cour supérieure, que le texte appelle “porte martellière”, sans doute parce qu’elle était munie d’un heurtoir. Si l’on excepte la place dévolue à l’escalier, où se concentre la totalité du décor (d’ailleurs bien modeste et limité aux culots et à la clef armoriée (20) de la voûte), et quelques jolis détails de la construction, comme la petite trompe appareillée en éventail, logée dans l’angle rentrant du second corps de bâtiment pour porter le pan coupé de l’étage, l’oeuvre ne se signale ai par sa qualité, ni par sa nouveauté. La tradition « gothique » prédomine encore dans la structure (croisée d’ogives et berceaux brisés) comme dans le décor (portes en anse de panier chanfreinées, larmier retourné e la fenêtre de l’escalier, motifs sculptés des culots). En ce qui concerne le dispositif lui-même, la priauté donnée à la défense sur l’apparat ne doit pas étonner. Dans les années 1540, les provençaux vivaient encore sous la menace, réelle ou supposée, d’une nouvelle invasion impériale.
La solution adoptée par le président Maynier, toute archaïque soit-elle, représentait sans doute un progrès par rapport au système utilisé avant 1546. De celui-ci, nous n’avons qu’une idée assez vague, car il ne reste aucun vestige visible du ou des corps de bâtiments remplacés par ceux du XVIème siècle. L’acte de 1460 évoque de façon incomplète l’introitus dongoni (on remarquera l’emploi du mot « donjon » pour désigner les bâtiments d’habitation du château), qui ne fit l’objet que de réparations partielles dans le second quart du xve siècle. L’ancienne entrée comprenait très probablement une tour-porche de deux étages située à l’emplacement de la partie orientale du second corps de bâtiment bâti en 1546. Elle était appuyée, à l’est, contre le corps de logis de la salle sans toucher, au sud, le corps de logis de la cuisine. Appuyé contre le mur méridional, un escalier en vis en plâtre de vingt-six marches larges d’un mètre desservait, au premier étage, une petite chambre logée dans la tour, la porte d’entrée de la cour supérieure et une galerie qui longeait le mur nord du corps de logis de la cuisine pour donner accès à des latrines suspendues au-dessus du ravin, à l’ouest. Le second étage de la tour, entièrement reconstruit et couvert d’un toit de tuiles entre 1425 et 1460, contenait la chambre dite du guet et communiquait de plain-pied avec la terrasse de couverture du logis de la salle. Pour hypothétique qu’il soit, le schéma de distribution suggéré par le texte n’est pas sans exemple. On en trouve l’exact équivalent au château de Forcalqueiret (Var), où le dispositif évoqué par un inventaire mobilier de la fin du XVème siècle a laissé des vestiges visibles (21). Il reste néanmoins bien des incertitudes, dont la plus importante concerne le plan de la tour et son articulation avec le corps de logis de la salle. Le mur occidental de ce dernier, bâti en blocage et peu épais, forme un biais insolite et paraît bien avoir été remanié. Suivait-il le même cours à l’origine ou a-t-il été dévié de la perpendiculaire qu’on attend pour obtenir un volume régulier? Les traces conservées montrent que la travée occidentale de la salle n’avait pas la même longueur au nord et au sud. On observe par ailleurs que le tracé actuel du mur ouest s’inscrit dans l’alignement de la porte d’entrée de la cour supérieure. Près de l’angle nord-ouest de la salle, devant le contrefort, subsistent quelques assises d’un mur en moellons qui dessine un arc de cercle. Aurions-nous là l’ultime reste d’un petit escalier en vis, distinct de celui dont parle l’acte de 1460, qui aurait relié les étages supérieurs de la tour? L’expertise du XVème siècle donne en effet une hauteur de 3 mètres, soit vingt-six marches de Omit à l’escalier de l’entrée. Hauteur nettement insuffisante à couvrir la dénivellation entre la basse-cour et le second étage, qui atteignait au moins 7 mètres. Il faut donc imaginer que les vingt-six marches en plâtre venaient continuer une montée en pierre préexistante, et par conséquent non mentionnée dans l’acte, ou bien que cet escalier, interrompu au niveau du premier étage de la tour, était relayé par un autre qui existait déjà entre le premier et le second étage. Le mur nord de la tour, probablement bâti dans l’alignement de celui du corps de logis de la salle, a dû disparaître jusqu’aux fondations lors de la construction de la nouvelle entrée en 1546. Au rez-de-chaussée du corps de bâtiment construit sur l’emplacement de l’ancienne, le sol rocheux en forte pente est entaillé par un étroit degré de direction nord-sud, qui bute de part et d’autre contre les murs et semble complètement inutile. Ne s’agirait-il pas là de la tranchée de fondation du mur ouest de la tour? Les dimensions de l’espace compris entre ce degré, le mur ouest du logis de la salle, le mur. nord du logis de la cuisine et l’emplacement supposé du mur nord de la tour correspondent exactement aux superficies indiquées par le document de 1460 pour la tour (18 m2), la vis (4 m2) et la galerie (6 m2).
Cour supérieure :
cuisine. — De l’escalier en vis, on entrait dans la cour supérieure (bardatum superius) par une porte biaise, dont on voit encore la base des piédroits, ouverte entre les corps de logis de la salle et de la cuisine. Le logis de la cuisine occupait le côté occidental de la cour et comprenait, au rez-de-chaussée, la cuisine et la dépense et, à l’étage, une chambre. D’une superficie d’environ 27 m2, ce logis avait un plan irrégulier, pour autant que le laissent entrevoir les pans de mur encore visibles au nord et à l’ouest. Au rez-de-chaussée, dans l’angle nord-est, subsiste un guichet de surveillance, petit orifice circulaire, percé en biais dans le mur sous un linteau en encorbellement, qui permettait de contrôler l’identité des visiteurs qui frappaient à la porte. La chambre de l’étage avait des latrines, sans doute suspendues au-dessus du ravin à l’ouest.
Grande tour. — Au sud de la cour se trouvait la grande tour (fig. 9) (magna turris), ainsi nommée parce qu’elle dépassait en hauteur tous les autres bâtiments. Elle renfermait trois pièces superposées, d’environ 4 mètres de large sur 7 mètres de long dans oeuvre : au rez-de-chaussée, une chambre voûtée en berceau en plein cintre (fig. 10), dont on voit encore le mur pignon est, avec une petite fenêtre cintrée et l’arrachement de la voûte, et un fragment du mur gouttereau sud, avec le départ d’un arc latéral qui abritait probablement une autre fenêtre ; au premier étage, une chambre plafonnée, pourvue d’une cheminée ; au second étage, bâti ou rebâti entre 1425 et 1460, l’armurerie (camera artilharie), couverte d’une toiture en tuiles.
Grande vis. — Entre la grande tour et la cuisine prenait place un escalier en vis (magna vitis) en plâtre d’environ 3 mètres de diamètre, qui donnait accès aux étages des deux corps de logis. La hauteur indiquée par l’acte de 1460 (10 m.) laisse supposer que cette vis, couverte d’un toit en tuiles et éclairée par trois fenêtres, fut entièrement construite ou reconstruite à cette époque, en même temps que les étages supérieurs de la cuisine et de la grande tour.
Salle. — Au nord, la cour était bordée par le grand corps de logis de la salle, seul bâtiment dont les vestiges conservés permettent de tracer le plan complet. Assis sur l’escarpement nord de la butte rocheuse, ce corps de logis ne comprend que deux étages : un rez-de-chaussée surélevé de quelques marches au-dessus du sol de la cour et un étage de soubassement de plain-pied avec la basse-cour. Un épais mur de refend divise chaque étage en deux parties inégales, la plus grande, à l’ouest, quasi rectangulaire (si l’on excepte le mur ouest, déjà évoqué, qui forme un biais), la plus petite, à l’est, de forme très irrégulière. Le rez-de-chaussée communiquait avec la cour supérieure par l’intermédiaire d’un petit degré et d’un perron qui enjambaient la citerne. Celle-ci existe encore et peut être observée par une brèche ouverte dans le mur sud de l’étage de soubassement. C’est un petit volume rectangulaire, à demi creusé dans le rocher et couvert d’un berceau segmentaire transversal bien appareillé, avec une petite fenêtre au ras de la voûte dans le mur sud, qui devait s’ouvrir dans la cour supérieure pour le puisage de l’eau. De la salle, qui formait la partie occidentale du rez-de-chaussée, il ne reste que le mur méridional et le départ de la voûte en berceau brisé, soulignée d’un cordon mouluré et étayée par deux épais doubleaux retombant sur des culots (fig. 11). La chambre située à l’est était également voûtée en berceau brisé, avec un cordon en quart-de-rond et un doubleau perpendiculaire au mur nord, dont la retombée au sud reposait sur une grosse console posée en biais. Trois puissants contreforts, en partie conservés, étayaient le mur nord. On remarquera qu’ils étaient placés, non pas dans l’alignement des doubleaux, mais aux extrémités et au milieu du mur. L’état des ruines permet difficilement de se faire une idée des baies qui donnaient jour et accès au rez-de-chaussée, d’autant plus que celles-ci ont subi divers remaniements. La chambre possédait une petite fenêtre très étroite à l’est (la seule qu’on voit encore, avec un linteau délardé en plein cintre) et une niche en arc segmentaire au nord, dont ne subsiste qu’une partie. Une porte percée dans le mur de refend devait mettre cette chambre en communication avec la salle. De celle-ci, on ne connaît que les baies ouvertes dans le mur sud, à demi enterré. La porte primitive, en plein cintre à claveaux extradossés, ouvrait sur le perron dans la travée occidentale. Cette porte, assez basse, fut ensuite murée et remplacée par une autre plus haute, située dans la travée centrale, que sa couverture en arc déprimé autorise à dater du début du XVIème siècle. A l’extrémité de la travée occidentale, on voit les restes murés d’une niche en plein cintre sur impostes moulurées, percée au centre d’un petit guichet carré à feuillure, qui devait faire office de passe-plats. Dans la même travée fut encore ouverte (au XVème ou au XVIème siècle ?) une fenêtre rectangulaire, dotée d’un large ébrasement intérieur taillé dans le parement du mur. Une autre fenêtre rectangulaire, murée et transformée ultérieurement en placard, éclairait la travée orientale.
De plan identique à celui du rez-de-chaussée, l’étage de soubassement contenait au XVème siècle une grande cave et une dépense. Les deux pièces étaient, à l’origine, couvertes d’un plafond, dont les poutres prenaient appui dans la cave sur des cordons en pierre et dans la dépense sur un léger retrait des murs. Des formerets en arc brisé (trois dans la cave et un dans la dépense) renforçaient le mur nord (fig. 12). C’est probablement dans la première moitié du XVIème siècle que le plafond de la cave fut remplacé par l’actuelle voûte d’arêtes appareillée avec soin. Les deux pièces du sous-sol, complètement aveugles au nord et à l’est, communiquaient entre elles par une porte et ouvraient de plain-pied au sud-est sur une cour que l’acte de 1460 appelle cour de la citerne (bardatum cisterne) la dépense par deux grands arcs brisés, dont l’extrados dépasse à peine le niveau du sol actuel, et la cave par une porte en plein cintre à claveaux extradossés, située à côté du mur de refend et aujourd’hui murée par les éboulis. Une autre porte, ouverte dans la travée centrale, relie la cave à un escalier en vis en pierre dont les premières marches seules émergent des décombres. Cet escalier communiquait avec la cour de la citerne directement par une autre porte, à l’est, et débouchait, au rez-de-chaussée, sur le perron de la salle par une troisième porte presque complètement enterrée. Les trois portes, celles du bas à linteau chanfreiné et piédroits arrondis et celle du haut cintrée (plein cintre ou anse de panier) avec embrasure intérieure segmentaire, et l’escalier proviennent apparemment d’un remaniement effectué au xvie siècle, de même que la porte de la travée centrale de la salle, qui reliait celle-ci à l’escalier.
Cour de la citerne. — La cour de la citerne, située à l’est et en contrebas (d’au moins 3 m.) de la cour supérieure, devait son nom à la citerne évoquée plus haut. La paroi orientale de celle-ci surplombait en effet cette cour, où l’eau pouvait se déverser par les canalisations en plomb que le texte de 1460 mentionne. L’espace, très étroit (moins de 4 m. de large sur 15 m. de long) et dallé, séparait le corps de logis de la salle d’un autre corps de logis qui occupait l’angle sud-est du château. Vers l’est, un mur d’enceinte fermait la cour. Comme on peut encore le voir, ce mur, soigneusement parementé des deux côtés, fait, dans la partie supérieure de sa face interne, un petit retrait taluté et porte à son sommet un cheneau en pierre. La reprise de la maçonnerie et la brèche visibles près de l’angle sud-est indiquent probablement le percement d’une porte pour donner accès à l’étage ou à la terrasse, qui surmontait une petite pièce bâtie à l’extérieur. L’acte de 1460 et l’inventaire de 1479 ne signalent rien à cet endroit. La pièce, logée dans l’angle entre le mur oriental du château et l’enceinte de la basse-cour, paraît être une adjonction tardive, pour autant qu’on en puisse juger par le berceau segmentaire en blocage, de médiocre facture, qui émerge seul des éboulis.
Corps de logis sud-est. — Le grand corps de logis de l’angle sud-est aurait été, d’après l’expertise de 1460, entièrement construit dans les années précédentes. Bordé au nord par la cour de la citerne, à l’est et au sud par des à-pic, il prenait appui, à l’ouest, sur le mur oriental de la grande tour. Les ruines actuelles, réduites à quelques pans des murs est et sud et à deux fragments arasés du mur nord, révèlent d’importants remaniements ultérieurs. La restitution de l’état du XVème siècle est malaisée. Il semble qu’à cette époque le corps de logis s’arrêtait, au sud, à la paroi taillée dans le rocher. On trouvait alors, au rez-de-chaussée, successivement d’est en ouest :
Toutes les pièces du rez-de-chaussée étaient couvertes de plafonds en bois.
Un escalier en vis en plâtre, proche du four, donnait accès à l’étage, directement sous la toiture en charpente et tuiles rondes. Au-dessus du four régnait une chambre (camera ante granerium) dont les fenêtres prenaient jour dans la cour supérieure et dans la cour de la citerne. Le grenier contigu occupait tout le reste de l’espace et possédait sept fenêtres.
Les remaniements, dont ce corps de logis fit l’objet et dont les ruines portent la trace, peuvent être datés, au moins en partie, grâce au prix-fait du 28 août 1528. Le rez-de-chaussée, qui surplombait peut-être, au XVème siècle, le sol de la cour de quelques marches, fut en effet recreusé et abaissé suffisamment pour y aménager des caves, le plancher intermédiaire également abaissé jusqu’à l’allège de la fenêtre orientale évoquée ci-dessus et un deuxième étage élevé au-dessus. Vers le sud, on gagna un espace supplémentaire en bâtissant sur le bord du rocher, au premier étage, deux petits réduits reliés par un couloir. Du nouveau rez-de-chaussée (ou demi sous-sol?) il ne reste de visible qu’un fragment du mur oriental, avec une petite fenêtre rectangulaire. Le premier étage abritait l’appartement du baron. La chambre, dans l’angle sud-est, était éclairée par la demi-croisée (fig. 11) couronnée d’un larmier retourné, et prolongée au sud par le réduit couvert d’un berceau brisé en blocage. A l’ouest, une arrière-chambre, qui servait de bureau ou d’ “estude” au seigneur, communiquait au sud avec le couloir ou “galerie”, au bout duquel se trouvait le “retrait” (latrines).
Comme presque toutes les grandes demeures seigneuriales de Provence et, du Comtat, le château d’Oppède était donc formé d’un enchevêtrement de bâtiments d’âges divers et de qualité inégale, que le désintérêt des derniers barons nous livre dans l’état où il était à la fin du XVIème siècle, c’est-à-dire épargné par les remodelages radicaux qui ont affecté tant d’édifices aux XVIIème et XVIIIème siècles. Dans cet ensemble complexe n’apparaît aucun élément dont on puisse raisonnablement dater la construction avant le milieu, voire la fin du XIIIème siècle. Sans doute existait-il auparavant des bâtiments. Leur implantation se laisse soupçonner sur la plate-forme sommitale du site, au sud et à l’ouest de la cour supérieure ; mais leur forme et leur étendue restent inconnues. Le rez-de-chaussée de la grande tour constitue peut-être le morceau le plus ancien de l’édifice, avec son berceau et sa petite fenêtre en plein cintre soigneusement clavés. Le cordon mouluré qui sert d’amortissement à la voûte a un profil (de haut en bas : bandeau, réglet, cavet, quart-de-rond légèrement outrepassé) qui n’appartient déjà plus à la pure tradition romane et indique une facture tardive — seconde moitié du XIIIème siècle? La partie supérieure du mur, au-dessus de la voûte, contient un certain nombre de pierres taillées en remploi, parmi lesquelles on distingue des claveaux d’arcs, dont un à crossettes. L’acte de 1460 ne signale pas de reprise du premier étage de la tour. On aurait donc là un remaniement antérieur à 1425 et la construction du second étage, datée par le texte.
Du corps de logis de la cuisine, il reste trop peu de vestiges visibles pour en esquisser la datation. L’appareil en moellons équarris du mur nord et de l’amorce du mur ouest et le guichet de l’angle nord-est suivent des modèles couramment utilisés au XIIIème et au XIVème siècle. La structure “romane” du corps de logis de la salle ne doit pas faire illusion. La modénature des cordons (bandeau, réglet, cavet et tore) et des culots (bandeau, canal plat, réglet, cavet, tore et trompe terminée par un bouton) est nettement gothique et invite à situer la construction au XIVème siècle.
L’expertise des travaux exécutés entre 1425 et 1460 montre l’étendue et la complexité atteintes par l’édifice dès le milieu du XVème siècle. Mais les seuls bâtiments intégralement bâtis ou rebâtis au cours de cette période, en particulier le corps de logis sud-est et les escaliers en vis, ont disparu — à l’exception, mais c’est bien peu de chose, d’un piédroit de la fenêtre orientale de la chambre du châtelain — ce qui nous empêche de juger de la qualité et du style des réalisations. Le texte parle d’ouvrages en pierre de taille, notamment pour la facture de portes et de fenêtres, applique un barème immuable (3 florins la canne carrée) aux maçonneries et aux charpentes (3 florins, 4 avec les tuiles) mais fait varier celui des gypseries de 1 à plus de 13 florins selon qu’il s’agit d’enduits de murs et de sols, de cloisons, de cheminées ou d’escaliers. La part dévolue à cette technique est importante (un peu plus du dixième du total en dépense) et laisse présager le développement qu’elle prendra au siècle suivant. On notera l’absence totale de pavements en céramique et la relative rareté des vitrages, réservés aux pièces d’apparat, salle, chambre du châtelain et chambre du premier étage de la grande tour, caractéristiques qu’on observe jusqu’au milieu du XVIIème siècle dans les châteaux de la région, par exemple ceux de Lourmarin et de Lauris. La somme totale dépensée par Jean Cadard en une trentaine d’années, 3.055 florins, représente un investissement très lourd, cinq fois le budget annuel d’une ville comme Pertuis. Il est vrai que l’état du château, en 1425, confinait à la ruine. Les experts prirent même en compte les frais de garde de l’édifice, inhabité durant plusieurs années, pour empêcher le pillage des matériaux.
A partir de l’expertise de 1460, on aperçoit assez bien, du moins dans leurs grandes lignes, les remaniements effectués par la suite. Les documents précités ont permis de dater précisément certains d’entre eux : le corps de logis sud-est autour de 1528, le système d’entrée achevé en 1546, la barbacane de la bassecour en 1611. Restent le voûtement de l’étage de soubassement du logis de la salle et l’escalier en vis collé au sud du même bâtiment, qui ont certainement été réalisés ensemble, car l’escalier tient compte du léger surhaussement apporté alors au sol de la salle. Ces travaux paraissent avoir eu lieu avant 1546. A cette date, en effet, le toisé des corps de bâtiment de l’entrée signale dans le voisinage du second corps de bâtiment la chapelle. Absente de l’inventaire de 1479 comme de l’expertise de 1460, la chapelle était sans doute une adjonction récente. Or le soin apporté à la construction de la voûte au-dessous de la salle laisse entrevoir un changement d’affectation de cette pièce, qui servait auparavant de cave. Le nouveau volume, directement relié par l’escalier en vis à la salle et à la cour supérieure, aurait donc été destiné au culte domestique. Si l’on excepte la barbacane de 1611, les transformations « modernes » du château, dont les dates de 1528 et 1546 constituent les termes approximatifs, doivent être mises à l’actif de Jean Maynier. Le second baron d’Oppède, plus connu par la responsabilité que la postérité lui à attribuée dans le fameux « sac de Cabrières et de Mérindol » en 1545, prend place parmi les bâtisseurs d’une époque féconde en la matière. Malgré leur qualité, les constructions qu’il fit exécuter restent cependant bien modestes, à la fois par rapport aux bâtiments préexistants et par comparaison avec les autres productions de son temps.
Apparemment, le président Maynier, qui résidait surtout à Aix, n’entendait consacrer à son château que les sommes strictement nécessaires à en rendre le séjour plus sûr et plus confortable, sans songer à en faire le rival des prestigieuses demeures de Gordes et de Lourmarin.